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Dialogues Sentimentaux
III. Nadine, la petite amie d' Henri
PAUL GÉRALDY
NADINE, qui fut jadis la petite amie d'Henri (aujourd'hui avocat celebre) est allee le voir chez lui, apres une Eclipse de dix ans, pour lui demander de la conseiller dans ses affaires. Elle a et6 regue, en I'absence de Pavocat, par la femme de celui-ci, H61fene, qui lui a fait le plus charmant des accueils, bien qu'elle sut parfaitement devant qui elle se trouvait, ou plutot parce qu'elle savait parfaitement devant qui elle se trouvait.
Nadine, qui s'en allait, apres avoir quitte H616ne, croise Henri dans Pescalier. Comme dans cet escalier il ne fait pas tres clair, Henri, qui monte, ne reconnait pas Nadine, qui descend.
Il faut dire qu'elle porte une voilette et qu'il ne Pa pas vue depuis dix ans.
HENRI (presse, saluant Nadine sans la reconnaitre)&emdash;Pardon.
NADINE (se retournant apres qu'il l'a depassee)&emdash;Monsieur!
HENRI (s' arretant:) — Madame ? (Devinant tout-a-coup qui est cette jeune femme:) Nadine! C'est toi, Nadine! . . .. C'est vous! . . . Pardon! . . . Mais oui, c'est vous! . . . Oh! ces voilettes! (Il a saisi les mains gantees de la jeune femme. Il l'attire vers un endroit plus eclaire.) Que vous voie! . . . Vous no pourriez pas . . . lever un peu votre voilette? . . . (Elle le fait) Merci. . . . Vous n'avez pas du tout change.
Nadine—Menteur! . . . Moi je serai plus franche: vous avez beaucoup change, vous. Henri—J'ai vieilli?
Nadine—Oui, mais bien vieilli. Vous etes bien mieux que vous n'etiez. Vous avez pris du caractere, de l'assurance, et quelque chose de penetrant, d'intelligent, de superieur qui m'intimide beaucoup.
Henri—Vous avez une fagon charmante de me le dire; mais j'ai tout de meme beaucoup vieilli, a ce que je vois!
Nadine—Ne vous en plaignez pas. L'age, c'est la beaute de l'homme.
Henri—Vous croyez?
Nadine—J'en suis sure. Autrefois il y avait dans vos traits de la jeunesse. A present, il y a de l'ame. Votre ame s'est inscrite sur votre visage. Je trouve cela beaucoup plus beau.
Henri—Je suis tres en retard. Je vous avais ecrit que je serais chez moi a trois heures. Et voici qu'il en est presque quatre. Vous vous etes lassee de m'attendre. Je vous demande pardon, Nadine. J'avais pourtant bien hate de vous revoir, de savoir ce que vous etiez devenue, apres si longtemps. Il a fallu, je vous assure, que des soins bien graves me retiennent. . . .
Nadine—Chut! que de paroles inutiles! Henri—Voulez-vous prendre la peine de remonter avec moi ces deux etages que vous venez de descendre?
Nadine—Non. Ce n'est plus la peine a present.
Henri—Pourquoi done? Vous aviez une question a me poser!
Nadine—Votre femme y a repondu.
Henri—Ma femme! Vous avez vu ma femme?
Nadine—Cela vous est tellement, tellement desagreable?
Henri—Pas du tout, voyons! quelle idee! Puisque vous ne voulez pas monter, voulezvous que je fasse quelques pas avec vous? Nous sommes bien mal dans cet escalier.
Nadine—Mais pas du tout! Nous sommes tres bien. . Et meme c'est parfaitement le decor qu'il fallait a notre entrevue. Mais bien sur! Nous ne pouvons nous voir qu'en dehors de nos vies. Sur le theatre de la Vie, nous n'avons plus de scenes a jouer ensemble, n'est-ce-pas? Alors nous nous disons bonjour dans la coulisse. Cet escalier c'est la coulisse. Vous dites bonjour dans le coulisse, vous le premier role a la mode, a cette petite comparse que je suis. C'est tres bien. Tenez, il y a la une banquette. Voulez-vous bien vous asseoir pour une minute aupres de moi sur cette banquette ?
Henri—Si vous voulez.
Nadine—Ici j'oserai peut-etre vous dire ce que je n'aurais jamais ose vous dire chez vous. Oui, sur ce terrain neutre, j'aurai plus d'audace et de franchise . . . Votre femme est la creature la plus exquise que je connaisse. Voila! C'est lache a present. Vous froncez les sourcils? Cela vous choque urt peu que j'ose vous parler de votre femme? Vous pensez que ce n'est pas a moi a la juger? Oh! je sais bien! Je vous demande pardon. Je ne suis pas tres bien elevee, moi, vous savez. Je suis toujours la femme que vous avez connue, un peu fruste . . . Vous vous rappelez? Vous me reprochiez de dire toujours tout ce qui me passait par la tete . . . Pardon. Pardon . . . Mais, voyez-vous, elle m'a si gentiment accueillie, votre femme que, de l'avoir vue, il m'est reste comme de la joie, de la confiance en moi, de la force et de l'audace. C'est pour cela j'ai ose vous parler d'elle ... Oh! je vois bien a vos yeux que j'ai eu tort, que j'ai manque de tact ... Ah! je n'ai pas de chance! J'aurais du. m'en aller sans vous arreter puisque vous ne m'aviez pas reconnue. J'ai gache la jolie impression que j'emportais de chez vous. Je suis une petite sotte, toujours la meme petite sotte d'autrefois. (Ses yeux se mouillent un peu.)
Henri—Nadine! Nadine! C'est moi le sot. C'est moi le grossier personnage! ... J'ai fronce les sourcils, dites-vous! Si c'est vrai, je vous jure que c'est moi. qui suis imbecile. Ne pleurez pas. Ce que vous dites me fait infiniment plaisir. C'est vrai que ma femme vous a plu?
Nadine—Adieu. Laissez-moi m'en aller.
Henri—Non, non! Parlez-moi de ma femme. Vous dites qu'en la quittant, vous etiez toute contente de vous. Et vous me quitteriez, moi, en pleurant! Elle vous aurait rendue joyeuse, et moi, je vous aurais fait pleurer! Non! Oubliez ma brutalite et ma sottise! Montrez-moi que vous ne m'en voulez pas. Dites-moi ce que ma femme vous a dit.
Nadine—Elle m'a dit beaucoup de jolies choses que je ne saurais pas repeter sans les abimer. Laissez-moi seulement vous dire que j'ai pour elle une infinie admiration. Vous etes heureux, n'est-ce-pas? Vous pouvez me le dire, allez! Cela me fera grand plaisir.
Henri—Je le crois. Il n'y a qu'a regarder vos grands yeux bons et sinceres pour le croire. ... Eh! bien, oui, Nadine, vous avez bien devine: Je l'aime. Je suis heureux.
Nadine—Merci. C'est gen til de me le dire si simplement. Si vous saviez comme cela me fait plaisir, que vous soyiez heureux! Je vais vous faire une confidence. . . . J'avais un peu de rancune contre vous. Vous m'avez quittee autrefois si brusquement. J'en suis restee pendant toute une annee comme etourdie. Je savais bien que vous ne m'aimiez guere, que je n'etais pas digne de vous. Mais, tout de meme, je vous aimais tant! J'esperais que vous me seriez un peu reconnaissant de vous aimer a ce point-la. Et voila qu'un beau jour, vous venez me dire: "Ma petite Nadine, il faut nous quitter!" C'etait dur. Vous avez eu beau m'envoyer le lendemain un beau cadeau, un cadeau . . . princier, c'etait dur. J'ai bien failli aller jeter a l'eau tout ensemble le beau cadeau et la pauvre Nadine. Et puis, je ne l'ai pas fait, par lachete. J'ai ete bien pres de le faire . . . mais je ne l'ai pas fait. Et le temps a passe. . . . Il y a dix ans de cela. . . . C'est oublie.
Henri—Nadine! Nadine! Vous avez souffert a ce point?
(Continued on page 106)
(Continued from page 59)
Nadine—Oui. J'ai souffert tres fort. J'ai souffert comme une petite brute. Que voulez-vous? Je ne savais pas! Vous auriez dfi me parler de la femme que vous Epousiez, me dire ce qu'elle etait. J'aurais compris. Je me serais inclinee. Meme je crois que j'aurais applaudi sincerement, de toutes mes forces, a ce mariage qui vous grandissait, qui vous augmentait. Mais Vous ne m'avez rien dit. J'ai cru que vous epousiez une petite bourgeoise que vous n'aimiez pas, qui ne vous comprendrait jamais. Cela me revoltait un peu, vous comprenez? Maintenant que je la connais, je vous absous. Je suis contente. Ce qui nous revolte toujours, voyez-vous, c'est l'injustice. Eh! bien, je sais k preent que je n'ai pas ete victime d'une injustice. C'est Evident que je n'etais pas la femme qu'il vous fallait, qu'auprls de moi votre personnalite n'aurait pas pu se developper. Si vou m'aviez gardee, vous auriez mal vieilli; vos traits ne seraient pas devenus si beaux. II n'y aurait pas aujourd'hui sur votre visage d'homme mur cette assurance heureuse et cette douce fierte Vous ne seriez pas devenu si magnifiquement homme, Henri.
HENRI—Ma chere petite amie, comme c'est joli, comme c'est emouvant ce que vous dites! Je vais vous parler a mon tour avec toute ma sinceite, car ma sincerite entire, c'est ce que je peux vous donner de mieux. Eh! bien, oui, je le sens, j'ai bien vieilli, comme vous le dites. Je suis bien arrive k moi-meme. Et c'est en effet pour beaucoup a ma femme que je le dois. Elle a ete aupres de moi une camarade comprehensive, attentive. Mais que vous dire de vous, Nadine, qui avez su le comprendre? Moi je n'avais pas compris ce que vous etiez. Je ne m'etais' pas doute de la femme que vous etiez!
Nadine—C'est que j'etais alors bien peu de chose, vous savez!
Henri—J'etais bien peu de chose, moi aussi! C'est peu de chose, Nadine, un jeune homme! . . . Mais, dites-moi, vous, etes-vous heureuse?
Nadine—Oui, depuis tout-a-l'heure.
Henri—Votre vie?
Nadine—Oh! n'en parlons pas!
Henri—Quelle est cette question que vous vouliez me poser, et k laquelle vous dites que ma femme a rdpondu?
Nadine—J'avais besoin de savoir si vous etiez heureux. En voyant votre femme j'ai compris que c'etait oui. Voila tout. Je suis satisfaite.
HENRI — (les yeux mouilUs) — Ma petite Nadine!
Nadine—Voyez-vous, ce qui compte d'une femme, c'est son premier amour. J'avais besoin de savoir que mon premier amour . . . avait bien tourne. Au revoir.
Henri—Nadine! Nadine!
NADINE (disparaissant)—Adieu, Adieu.
(Henri, seul dans cet escalier, se met a pleurer doucement.)
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