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Un chaste poète
HENRI DUVERNOIS
Application pratique de la théorie qu'en amour il vaut toujours mieux se savoir coupable qu'utile
• EDITOR'S NOTE: It is, of course, a distinct departure for Vanity Fair to publish a story in French. However, so many readers have requested the Editors to publish stories from time to time in untranslated form that it has been decided to print Un Chaste Poete by way of experiment. It is hoped that this gay little story will be received with pleasure by our Francophile readers
• Chaque jeudi, Leopold Isoreau arrivait a sept heures chez son vieil ami, le docteur Angoulevant. Tandis que celui-ci continuait d'écrire: "Tu permets mon vieux?", Leopold lui servait, en guise d'aperitif, tout un lot de mauvaises nouvelles:
—Tu vieillis, Auguste . . . tu vieillis d'une semaine sur l'autre; c'est curieux! ... On a fait un article contre toi.... Oh! dans un petit canard de medecine . . . mais qui est tres lu. Veux-tu le voir? Je l'ai sur moi. . . . Il n'y va pas avec le dos de la cuiller, le cochon qui a ecrit ça. . . . Dis, Auguste, tes "Ruggersfontein" ont encore baissé. Je t'ai apporte la cote, a tout hasard. . . . Tu ne m'entends pas? Ton oreille droite est un peu paresseuse, hein? Est-ce rigolo! Tu t'imagines que Ton ne s'en aperçoit pas. . . . As-tu un moment pour lire cet article, mon cher?
• Leopold. . . . Un veritable ami, franc
comme l'or, le cceur sur la main et qui n'avait point hesite a donner son opinion quand Auguste, quinquagenaire, s'etait mis dans la tête d'epouser une petite blonde, immaterielle, inconsistante, romanesque, beaucoup trop jolie et qui aurait pu etre sa fille. "A ta place, j'hesiterais. Les Hindous n'augurent rien de bon du mariage de Fours avec la gazelle!" Son couvert restant mis une fois par semaine, il finit par se resigner. Même, il reporta sur Yvette l'affection bizarre qu'il manifestait a Auguste. Il était toujours le premier a lui annoncer que sa robe lui allait mal, que telle amie la décriait ou que sa cuisinière se montrait au-dessous de sa têche.
Ce jeudi-là, Leopold arriva si fremissant que le bon docteur eut un sursaut d'inquietude et lui demanda ingénument:
—Comment ça va-t-il . . . ici?
—Prends done l'existence au serieux, lui conseilla l'autre.
—La vie n'est pas si mauvaise! Il y a le soleil, les fleurs, le travail, les femmes. . . .
—Je n'aime pas les femmes, et si je suis resté célibataire, c'est a bon escient. Garder auprès de soi une bete qui essaiera de vous mordre des qu'on aura confiance en elle? . . . Je laisse ga aux imbeciles—ou aux gens plus forts que nous. Pour etre un mari, il convient d'avoir du sang de dompteur dans les veines. . . . Non, je n'aime pas les femmes. C'est raisonné. En toutes circonstances, je prends le parti des hommes. Cela m'ennuie de les trouver si credules. . . . Je suis clairvoyant. Quand je vois une femme qui se prepare a trahir, je siffle entre mes dents un air de chasse. A l'interesse de comprendre, s'il a un peu de perspicacité.
—Leopold, ou veux-tu en venir, mon ami? murmura le docteur.
—A rien. On cause. Je t'expose ma fagon de penser, voila tout. Done, je siffle un petit air de chasse. . . . Un homme averti en vaut deux. . . . D'autant que si la chose n'est pas consommée, le mari a mille fagons de se tirer d'affaire.
—Crois-tu?
—Goethe affirme qu'il faut vouloir mourir pour mourir. J'estime qu'il faut vouloir etre trompe pour l'être. Mais oui, mon vieux: a l'aurore de tous les cocuages, il y a une petite lâcheté, une petite faiblesse de l'homme qui est enchante de trouver sa femme gracieuse, docile, de ne plus avoir de scenes et de pouvoir travailler tranquillement. Il a laisse s'introduire le Sigisbee qui est devenu Minotaure. Halte-la! Avec mon ceil de psychologue, j'ai vite fait de decouvrir. . . .
• —Yvette va venir, balbutia docteur
Angoulevant. . . . Nous avons a diner M. Claude-Alexandre Colomieux, ce jeune poete, tu sais . . . qui dit si bien les vers. . . . Sois aimable avec lui.
—Tu peux y compter, ricana Leopold.
Le medecin observa tout d'abord sa jeune femme qui arriva, chargee de rires et de parfums, tendit au pique-assiettes une main nonchalante et offrit son front calme au baiser de l'époux. Ce fut, ensuite, l'entree desinvolte, l'entree familière et dansante, si l'on peut s'exprimer ainsi, du ravissant Claude-Alexandre Colomieux, que ses vers semblaient tracasser jusqu'au moment ou il les exhalait le plus harmonieusement du monde, un coude sur la cheminée, l'æil cherchant, par-dessus les vagues tetes humaines, un impossible horizon.
—Vous voila, vous! . . . lui dit Yvette avec une maussaderie qui avait la douceur défaillante d'un aveu.
Le délicieux aède s'assit comme on s'évanouit et s'eventa en soupirant. Il se sentait malade, tres malade, et il emit le projet de consulter quelque jour le docteur, car il avait peur de devenir aveugle comme Homère, éprouvait des vertiges comme Pascal et craignait d'avoir la poitrine faible comme Molière. Tandis qu'il se lamentait, Yvette le suivait d'un tel regard que Leopold se mit a siffler un air de chasse, exactement les Adieux de la foret.
—Tu te crois dans une écurie? s'ecria le docteur Angoulevant, bouleverse.
Apres cette manifestation, l'ami incomparable fit preuve d'une gaiete inaccoutumée qui fusait en eclats de rire aigres et pointus.
—L'insupportable bonhomme! dit Yvette quand il se fut retire.
—Il m'aime! retorqua le mari.
Et il contemplait avec anxiété le manege de Claude-Alexandre, qui bombait du thorax et parlait de choses poetiques avec les inflexions de voix les plus tendres. Apres des considerations subtiles sur l'amour, l'amitie, les nuits de printemps et l'art contemporain, le jeune poete s'étant évaporé, le docteur se retira dans son cabinet de travail et Yvette se déshabilla rêveusement, Fame et le cceur encore pleins de tant de jolis mots. Claude-Alexandre Colomieux avait trouvé le moyen de lui glisser:
—Quand pourrai-je vous trouver seule?
—Seule? Pourquoi? Mais c'est insense! . . . Demain vendredi, mon mari a une consultation en ville, de deux a trois heures. . . . Mon Dieu, c'est presque un rendez-vous que je vous donne.
Elle se deshabillait done lentement et en rougissant quelque peu—comme si elle se déshabillait pour quelqu'un qui l'attendait. Elle pensa a cette expression desuete, mais significative: "les feux de l'amour". En la pressant: "Quand pourrai-je vous trouver seule?" son poete etait tout illumine d'un feu rose qui lui seyait a ravir; ses prunelles etincelaient. Elle ne put s'empêcher de songer a un amour delicat, fait d'enlacements précieux, de paroles ailees et de baisers purs. A ce moment, le medecin vint lui donner un bonsoir de père et réintégra son cabinet, ou il couchait.
Le lendemain, Claude-Alexandre Colomieux fut exact. Il entendait forcer a la hussarde la vertu de cette petite bourgeoise et il se montra tout de suite brulant de fièvre et consume de passion. Il allait sacrifier le pli de son pantalon en se traînant a genoux sur le tapis, quand le docteur Angoulevant parut a l'improviste. Le patient au chevet de qui on Favait appele etait mort sans l'attendre, ce qui, émit-il d'un ton plaisant, constituait une grave impolitesse. Tandis qu'il parlait, une idee subite l'illumina, une de ces idées qui viennent dans les cas désespérés.
• —Sans doute, dit-il au jeune poète, veniezvous pour me consulter?
—Mais certainement, s'empressa de repondre Claude-Alexandre.
Et il suivit le medecin qui, apres l'avoir interrogé sur les malaises dont il etait atteint, lui interdit la cigarette et lui rédigea une quelconque ordonnance.
Le soir, Yvette demanda a son mari.
—Qu'avait-il done de si grave, M. Colomieux?
Le docteur répondit d'un ton léger:
—Baste! Il n'est pas malade! . . . Au contraire! . . . Il se porterait plutôt trop bien. . . .
(Continued on page 104)
(Continued from page 62)
—Je ne comprends pas.
—Es-tu curieuse! Et le secret professionnel? Enfin, puisque tu veux savoir. . . . Seulement, tu es assez bégueule, et le sujet est délicat. . . . Et je ne voudrais pas froisser ta modestie. . . . Oh! rien de terrible. . . . Enfin voilà: le jeune homme est chaste . . . chaste à l'âge des passions. Il nourrit ses désirs de rimes et de métaphores. Ce n'est pas assez. Que diantre, pour âtre poete, on n'en est pas moins homme. . . . L'amour—que veux-tu, c'est la triste réalité—l'amour, a vingt-quatre ans, est pour ainsi dire . . . une mesure d'hygiène. . . .
—C'est un medicament?
—Oui.
—Quelle horreur!
—Bref, je l'ai examine, confessé, et je lui ai conseillé de consacrer moins de temps a la litterature et les arts ... et de prendre une petite amie. . . . D'ailleurs, il s'était rendu compte de son état et il m'a dit: "Je cherchais quelqu'un déjà."
—Auguste! Assez, je vous prie!
Le docteur Angoulevant regarda profondément Yvette. Il constata que quelque chose s'éteignait dans ses yeux charmants, et il en conçut une joie vhéménte. Puis:
—Mange done, dit-il, pourquoi ne manges-tu pas?
Elle répondit avec une vague grimace de degout:
—Merci. . . . Je n'ai plus faim.
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